In Memoriam Prof. François Rothen (17.03.1936 - 17.02.2023)
Après son baccalauréat classique (latin-grec), François Rothen entreprend des études de médecine à l’Université de Lausanne en 1954, puis après 3 semestres, il s’oriente vers la physique théorique à la faculté des Sciences. Après son diplôme il prépare une thèse de doctorat sur la supraconductivité et l’observabilité des potentiels électromagnétiques qu’il soutiendra en 1966. Dès lors, en qualité de chargé de cours, il enseignera la physique expérimentale avec une interruption de deux ans qu’il passera à Marburg dans le groupe du Professeur Siegfried Grossmann. De retour à Lausanne il est nommé professeur assistant, puis en 1976 professeur extraordinaire et promu professeur ordinaire en 1979. Sa charge d’enseignement sera complétée avec l’enseignement de la physique du solide ainsi que la physique atomique. Scientifiquement, le Professeur Rothen a couvert 3 périodes : d’abord la supraconductivité, ensuite l’étude des cristaux liquides et finalement la phyllotaxie. Son départ à la retraite marque un tournant important, car il se consacrera à l’écriture de textes de divulgation scientifique et de romans historiques en relation avec la science : au total 15 ouvrages ont parus, dont le dernier posthume.
En 1976, François, en année sabbatique, a séjourné au Laboratoire de Physique des Solides (LPS) à Orsay avec l’intention de poursuivre ses travaux sur la supraconductivité dans l’équipe de Pierre-Gilles de Gennes. Il partage alors un bureau avec Pawel Pierański, élève d’Etienne Guyon, et fut introduit à un nouveau sujet de recherches d’actualité : les instabilités hydrodynamiques dans les cristaux liquides nématiques, dues au couplage non linéaire entre l’écoulement et l’orientation des molécules. Avec Elisabeth Dubois-Violette (LPS) et ses thésards – Jacques Sadik et André Koch – François s’employa à construire la théorie des instabilités. Plus tard, son thésard Miguel Jorand, Elisabeth Dubois-Violette et Brigitte Pansu (LPS) ont expliqué le comportement visco-élastique des Cristaux Colloïdaux. L’Atelier sur les Cristaux Colloïdaux, organisée avec Paul Chaikin à l’École de Physiques des Houches en 1984, doit beaucoup à François qui assura aussi l’édition des Comptes Rendus de cette rencontre et rédigea un Avant-propos remarquable.
Son approche originale par les symétries conduira très naturellement François à s’intéresser à un problème que lui soumet Piotr Pierański, frère de Pawel rencontré aux Houches. Il s’agit de billes d’acier confinées entre deux plaques de verre inclinées par rapport à l’horizontale, soumises à un champ magnétique perpendiculaire aux plaques. Elles s’ordonnent en un surprenant réseau bidimensionnel incurvé, similaire à l’image obtenue par une transformation conforme d’un réseau triangulaire. L’analyse de cette structure conduit François et Piotr Pierański à poser les bases théoriques de ce qu’ils ont appelé les « cristaux conformes ».
Plus tard, en 1986, François Rothen est captivé par la phyllotaxie, c’est-à-dire à « l’arrangement des feuilles » en botanique. Le sujet, fascinant, mêle géométrie, théorie des nombres et stabilité structurale. Depuis l’Antiquité, on sait que le nombre d’or est associé à la répartition en spirale des feuilles autour des branches de certains arbres ; le mécanisme responsable de l’apparition de ce nombre d’or en botanique reste incompris. François se passionne pour ce problème; il dirigera quatre thèses de doctorat sur divers sujets en lien avec la phyllotaxie. Avec Giuliano Bernasconi, Joaquim Guerreiro, André Koch et Martin Kunz, il montrera que des contraintes géométriques jointes à des arguments de symétrie et d’invariance d’échelle conduisent à la sélection des nombres nobles en botanique et, dans une majorité des cas, du nombre d’or.
A partir de 1994, François Rothen se tourne vers la modélisation de l’évolution darwinienne. Avec ses deux derniers doctorants, Didier Bonnaz et Jean Lehmann, il s’intéresse aux mutations du code génétique ainsi qu’aux modèles stochastiques de dynamique des populations.
Avec la retraite, prise en 2001, François inaugure une nouvelle carrière, celle d’auteur d’ouvrages de vulgarisation. Il publiera ainsi une dizaine de livres, essentiellement aux PPUR (EPFL Press) :
- Et pourtant, elle tourne ! traite de la découverte de la gravité, de la radioactivité ou du mystère de la disparition des dinosaures,
- Surprenante gravité, traite du concept de gravitation, sera traduit en arabe,
- Aux limites de la physique : les paradoxes quantiques, sa grand-œuvre,
- La face cachée de la Lune consacré aux coïncidences, hasards extraordinaires, mais aussi au combat des pseudosciences,
- Chasseurs de planètes, retrace l’histoire de la découverte des exoplanètes,
- Quantum, dédié à la découverte de l’atome et de la radioactivité,
- Aléa, interroge la place de l’imprévisible dans la connaissance scientifique,
- Sciences, orgueil et préjugés, consacré à quelques-unes des plus fameuses controverses scientifiques,
- Le Nombre et l’Univers, dans lequel il s’émerveille du langage mathématique de la nature et du cosmos,
- Les combats de la science, ou il revient sur 500 ans de lutte scientifique contre l’obscurantisme,
- Enfin, Aux limites du réel, quand la science défie les frontières du connu, consacré aux trous noirs, au monde quantique et aux univers parallèles paru deux mois après son décès.
Par cette œuvre monumentale, François prolongea, au-delà de la retraite, les activités originales d’enseignement et de recherche qu’il conduisit pendant son mandat académique. François Rothen a été membre de la Société Suisse de Physique pendant plus de 50 ans. Un symposium d’hommage à cette œuvre, soutenu par l’UNIL et l’EPFL, a réuni plus de 80 amis et collègues le 21 avril 2023.
Gervais Chapuis, Sylvain Collette, Giovanni Dietler, Claude Joseph, André Koch et Pawel Pierański.
[Publié: juillet 2023]